En rupture avec l’hypnose classique qui donne au praticien un pouvoir de
suggestion sur son consultant, le psychologue Bernard Sensfelder a fondé
l’eïnothérapie, une hypnothérapie douce, qui laisserait au corps le soin de
libérer par lui-même les racines du mal-être. Le but : en finir avec la tyrannie
du développement personnel et se sentir bien tel que l’on est… Le tout de
manière autonome. Curieux, j’ai fait le test…
L’hypnose, dans la pensée collective, c’est cette technique un peu mystérieuse qui permet de réaliser des choses incroyables : marcher sur des braises sans se brûler, subir une opération chirurgicale sans anesthésie, dialoguer avec des défunts ! Plus classiquement, effacer un mauvais souvenir ou cesser de fumer en trois séances… Bernard Sensfelder, lui, utilise cette technique ancienne dans un tout autre but : rendre les individus libres…
Pourquoi éprouvons-nous du mal-être ? Pourquoi souffrons-nous d’insomnie, d’addictions, de surpoids, de problèmes relationnels, de difficultés conjugales, de manque d’estime de nous-mêmes, de troubles du comportement ou tout simplement d’anxiété ou de phobies ? Pour le fondateur de l’eïnothérapie, les choses sont relativement simples. Il n’existerait que trois causes à nos douleurs morales et à nos comportements indésirables : la peur, la culpabilité et les tensions corporelles, sachant qu’elles-mêmes sont générées par des peurs, des culpabilités ou des souvenirs d’ambiances tendues. Autrement dit, plutôt que de faire des efforts pour devenir plus rapides, plus sobres, plus efficaces, plus gentils ou plus confiants, plutôt que d’essayer d’être meilleurs ou plus exactement plus conformes à l’idée que l’on se fait d’une bonne personne, la vraie solution serait de libérer les tensions à l’origine de nos difficultés. Comment ? En nous laissant faire par notre corps…
« Laisser le corps s’installer confortablement dans une peur… »
Aux antipodes de la psychanalyse lacanienne dont il est issu, Bernard Sensfelder a puisé dans les neurosciences pour fonder sa propre méthode de psychothérapie. Une approche rapide dont il affirme qu’elle peut être pratiquée en autonomie après quelques séances accompagnées. Avec l’eïnothérapie, il ne s’agit ni de puiser dans les ressources de l’inconscient, ni d’induire de nouveaux comportements par des suggestions comme en hypnose classique. L’objectif, c’est de lâcher prise, autrement dit d’obtenir un état de légère relaxation afin de « laisser le corps s’installer confortablement dans une peur ou une culpabilité » identifiée préalablement… Ensuite, il s’agit simplement de constater les sensations corporelles associées au mal-être, puis de laisser faire le corps sans intervenir, jusqu’à ce qu’il efface de lui-même les tensions qui y sont liées. Dans la continuité des travaux du philosophe et hypnothérapeute François Roustang, dont il fut le disciple, Bernard Sensfelder a systématiquement constaté que lorsque la tension physique est liée à une peur ou une culpabilité, ces dernières sont également libérées. Dès lors, la personne est libre de changer de comportement. Simple, non ?
En tout cas suffisamment alléchant pour que je veuille me frotter à cette technique. En effet, malgré plusieurs années de travail sur moi-même, il me reste quelques défauts de fabrication. Par exemple, quand je suis à table, je n’aime pas arrêter de manger. Lâcher ma fourchette me demande un gros effort, comme si je voulais prolonger ce bon moment. Résultat, je me remplis souvent l’estomac au-delà de ma faim, ce qui me conduit à sauter le repas du soir, encore occupé que je suis à digérer celui du midi. Un problème de comportement, donc… Heureusement, Bernard Sensfelder et une eïnothérapeute qu’il a formée, Mylène Mathieu, organisent un stage sur le thème « Hypnose et circulation d’énergie » à Lyon. Je m’y rends en janvier 2019. Nous sommes sept stagiaires venus de divers horizons : thérapeutes, personnes en recherche de mieux-être, essentiellement des femmes. Un classique.
Bernard Sensfelder traitera principalement de l’eïnothérapie. Mylène Mathieu, de conscience corporelle,
de centrage et d’énergie interne. Pendant deux jours, nous allons nous exercer à entrer en transe hypnotique légère, puis à laisser notre corps traiter les mauvais souvenirs, peurs, relations difficiles, images négatives de soi, etc. Autrement dit, toute information se traduisant par une tension…
Nous éprouvons du mal-être parce que le personnage que nous avons créé pour nous adapter se trouve
en échec.
Après les présentations, le psychologue expose les fondements de son approche : « Quand j’ai appris la
psychologie, on m’a dit que l’on faisait les choses pour être aimé, pour exister. Eh bien je ne suis plus
d’accord avec ce dogme ! Je récuse l’idée que les enfants agiraient dans le but d’attirer l’attention sur eux
ou d’être aimés. C’est l’inverse qui est vrai. À la base, il y a la « personne ». La personne aime et donne. Si elle est reçue dans son élan, elle pense : « Ma façon d’aimer est juste. » Et elle reste dans sa spontanéité. Si elle n’est pas reçue, elle pense : « Ma façon d’aimer est mauvaise. » C’est le début de la culpabilité. Le phénomène se produit un jour ou l’autre dans nos sociétés. Et chacun, pour protéger les autres de l’horreur qu’il croit être, se crée un personnage qui va agir dans le monde et s’y adapter en se modelant sur la peur et la culpabilité, qui se manifestent sous la forme de tensions dans le corps ». Pour Bernard Sensfelder, nous éprouvons du mal-être parce que le personnage que nous avons créé pour nous adapter se trouve en échec. « Tant qu’il est adapté à son environnement, tout va bien. Mais quand il n’est plus adapté, on se sent mal… À partir de ce constat, il existe deux solutions : réparer le personnage, le renforcer, pour qu’il soit de nouveau conforme à ce que l’on pense qu’il est attendu de lui. Ou bien s’en débarrasser pour que la personne « advienne » de nouveau. Cette deuxième option est celle de l’eïnothérapie… » J’observe Bernard Sensfelder. Il est « nature », Bernard. Un sourire quasi permanent aux lèvres. Le rire facile. Un enseignement clair, sans élément de langage signifiant son statut d’expert. Aucune posture construite et un look pas franchement travaillé. Visiblement, il ne fait pas grand cas de son image extérieure. Il transmet son enthousiasme de chercheur, voilà tout… S’est-il totalement débarrassé de son personnage ? Je l’ignore, mais en le voyant si joyeux et décontracté, j’ai plutôt envie de tester sa technique.
Comment les peurs se créent… Et se désactivent
Convoquant les neurosciences, le savant nous expose comment les peurs se créent… Et se désactivent. « En 2015, raconte-t-il, une expérience scientifique a consisté à créer une peur chez des volontaires en les exposant à l’image d’un paysage et à un parfum tout en les soumettant à un petit choc électrique. Par la suite, des capteurs cardiaques et cérébraux ont montré que rapidement, le cerveau associe le parfum ou l’image à la peur et que cette association se maintient dans le temps. Quelque temps après, on a invité les volontaires à venir dormir au laboratoire. Pendant la phase du sommeil où le cerveau ne génère plus d’information motrice, générant une vulnérabilité totale, on fait sentir le parfum à la moitié du groupe. Au réveil, les personnes concernées ont le souvenir d’un cauchemar… Mais quand on leur fait sentir le parfum ou qu’on leur montre l’image, l’immense majorité n’a plus peur… L’eïnothérapie, résume le psychologue, consiste à mimer cette phase du sommeil par une transe hypnotique légère, créer cet état de vulnérabilité, puis entrer dans la peur et la culpabilité pour les désactiver, définitivement. »
Ma main bouge toute seule !
Les exercices pratiques commencent. Debout, nos initiateurs nous suggèrent de fixer un point sur notre main droite jusqu’à ce que l’image se floute ou se modifie… Et que la main soit animée de petits mouvements saccadés, signe de l’activation du système moteur involontaire (cf. « Comment entrer en état d’hypnose »). J’essaie. Quelques instants plus tard, ma main bouge toute seule ! J’en suis surpris autant qu’ému. Dans l’instant, je suis totalement connecté à mon corps, en observateur de ce qui s’y passe. Ma pensée est légère. Pour certains stagiaires, l’entrée en transe hypnotique prend un peu plus de temps que pour moi… Le lâcher-prise, ça s’apprend. Il faut s’apprivoiser avec les sensations particulières de cet état de conscience. Quand tout le monde est au point, Bernard nous propose de faire venir l’image d’un proche : père, mère, enfant… « C’est rarement neutre », prévient-il. Effectivement… La tension monte dans le corps, puis passe, jusqu’à la paix… Convoquant la théorie des neurones miroirs, Bernard Sensfelder nous indique que lorsque nous observons quelqu’un faire une chose, les aires motrices de notre cerveau correspondant au geste que nous voyons s’activent. Autrement dit, ce que l’autre fait, notre cerveau le fait ! Et si ce que l’autre fait correspond à un interdit chez nous, nous nous sentons mal. Et notre initiateur de conclure en toute logique : « Si une personne nous traite avec mépris et que cela nous énerve, c’est que nous sommes porteurs d’un interdit d’être méprisant ! »
La solution : entrer en état de lâcher‑prise et s’installer dans « je suis méprisant ». Si interdit il y a, la
tension montera dans le corps, puis s’apaisera d’elle-même, jusqu’au calme complet, signe que nous
avons levé l’interdit et gagné un peu de liberté. Voilà qui me paraît un peu risqué : si je lâche l’inter
dit d’être méchant, ne vais-je pas devenir méchant ? « Aucun risque, insiste Bernard Sensfelder, vous ces-
serez seulement de vous comporter gentiment, juste par peur d’être méchant. Éventuellement, vous
cesserez d’être gentil au détriment de vous-même et de le regretter ensuite. » Voilà qui ouvre de vastes
perspectives… La proposition de Bernard Sensfelder : traquer systématiquement les interdits et les culpabilités pour les libérer, un par un. Nous testons l’affirmation : « Je fais du mal aux gens que j’aime. » Pour moi, c’est le calme plat. En revanche, la phrase « je suis un égoïste » provoquera une réelle tension physique… Cette technique toute simple aura‑t‑elle raison de ma compulsion alimentaire ?
Sur le chemin du retour, je me dis que l’eïnothérapie va devenir l’un de mes sports favoris…
Cette technique toute simple aura-t-elle raison de ma compulsion alimentaires ?
Pour commencer, je vais m’offrir quelques minutes de lâcher-prise chaque jour, histoire de me détendre
et de récupérer. Quelques minutes d’hypnose, ça repose autant qu’une sieste, paraît-il… Quand l’envie me
vient, je fixe un grain de beauté que j’ai sur la main droite. L’image se brouille, ma main se met à faire
des petits mouvements spontanés. Ça marche ! Je ferme les yeux. Ma main gauche, elle aussi, se met à
bouger. Avec l’habitude, l’entrée en état d’hypnose est de plus en plus facile. Si je pratique le soir, l’entrée
dans le sommeil en est facilitée. Mais cette technique toute simple aura-t-elle raison de ma compulsion alimentaire ? J’ai bien retenu la leçon : se retenir est d’une efficacité aléatoire. D’ailleurs, j’ai déjà essayé. Ça marche très bien, pendant 24 heures… À présent, il s’agit de me détendre dans ma relation à l’aliment… Alors, un
soir de févier, je me place en état de lâcher‑prise avec l’intention de traiter le problème. En transe légère,
je m’imagine en train de manger. Jusqu’ici tout va bien. Puis me vient l’idée de prononcer intérieurement : « Fin de repas. » Aussitôt, j’ai l’impression que mon ventre implose ! C’est un véritable état de panique.
J’observe mes sensations. La tension dure plusieurs secondes, puis se relâche d’un coup. Je me sens apaisé. Quand je répète « fin de repas », c’est le calme plat. Je me sens en paix, joyeux… Alors, je convoque l’image d’un moment où j’ai grignoté des amandes… Un petit peu trop. Je les vois, je sens leur parfum et leur croquant, puis je les éloigne de moi. Nouvelle crispation dans le corps. Je laisse faire… Aucun contrôle, aucune intervention pour essayer de réduire la tension. Au bout d’un instant, ça se calme, tout seul. Je recommence. Nouvelles crispations qui s’apaisent elles aussi au bout de quelques secondes. Au troisième essai, l’évocation est devenue neutre. Suis-je guéri ? Je le saurai demain…
Ma main lâche la fourchette d’elle-même
Pendant les deux jours suivants, je mange raisonnablement. Il y a un peu d’effort de ma part, mais pas de contrainte exagérée. Je me sens plus libre de mon comportement. Le troisième jour, j’ai de nouveau du mal à m’arrêter de manger à midi, ce qui me prive du repas du soir. Mais les circonstances sont différentes. Clairement, ma surconsommation est la réponse à un stress. Il me faudra le traiter tranquillement, à froid. Je suis toujours résolu non pas à me retenir de manger, mais à relâcher toute tension qui me pousserait à manger au-delà de la vraie faim. Je m’y attelle… Nouvelle séance. Nouvelles tensions qui se relâchent… À la suite de ce deuxième essai, plusieurs semaines se sont passées sans compulsion. À l’heure où j’écris, j’ai gardé un solide appétit, mais je n’ai plus fait d’excès. Au lieu de revenir vers le plat malgré moi, ma main lâche la fourchette d’elle-même, sans que j’en décide et sans que j’y pense… Ce constat me procure un agréable sentiment de liberté…
Votre commentaire